Nuisances et dérives de la méthanisation

Nuisances et dérives de la filière méthanisation, frondes locales

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Un collectif dénonce les «dérives» d’une méthanisation à marche forcée

Une unité de méthanisation en Eure-et-Loire. La France compte 647 méthaniseurs aujourd’hui. — GOUPIL RODOLPHE/SIPA

  • Valoriser des déchets, produire une énergie renouvelable, diminuer l’utilisation d’engrais de synthèse, améliorer le revenu des agriculteurs… Voilà toutes les promesses de la méthanisation…
  • Mais alors que la filière prend son essor en France, des voix -de scientifiques, de riverains ou encore d’agriculteurs- s’élèvent pour pointer les dérives d’une méthanisation menée à allure forcée.
  • Au-delà des potentielles nuisances locales, celles des mauvaises odeurs notamment, l’autre écueil à éviter est l’accaparement des terres pour produire de l’énergie au détriment de l’alimentation.

Petit un, on valorise des déchets organiques. Ceux que produisent une exploitation agricole (lisier, fumier, déchets de cultures), une station d’épuration, une usine agroalimentaire. Petit deux, on produit du biométhane, un gaz non-fossile, injectable directement dans le réseau ou brûlé pour produire de l’électricité et de la chaleur. Petit trois, on récupère en fin de processus des résidus de matières organiques, appelés digestat, qui servent d’engrais. Sur le papier, la méthanisation est la promesse de faire d’une pierre trois coups. Quatre même en ajoutant la possibilité pour l’agriculteur d’accroître ses revenus en vendant du gaz et en réduisant ses achats d’engrais.

Le nombre de méthaniseurs grimpe en flèche

En mars 2013, en pleine crise agricole, Stéphane Le Foll, alors ministre de l’Agriculture, fixait le cap de 1.000 méthaniseurs en France en 2020. Une première marche vers l’objectif plus lointain de porter à 10 % en 2030 la part du gaz issue de la méthanisation dans la consommation globale de gaz du pays et même 30 % en 2050.

Au dernier comptage, en juin dernier, la France comptait 646 installations. Trop juste pour atteindre les 1.000 d’ici un an. Mais l’actuel gouvernement a repris le flambeau, annonçant une série de mesures pour développer la filière en mars dernier. Dans ce contexte, « le nombre de méthaniseurs grimpe en flèche ces dernières années, observe Olivier Dauger, agriculteur et président de l ’association France gaz renouvelables. Rien que dans les Hauts-de-France, ma région, il y a actuellement entre 150 et 180 dossiers en cours d’instruction. »

Un essor que constatent aussi Daniel Chateigner, professeur de physique à l’université de Caen et Anne Danjou, présidente de « Bien vivre en Anjou ». Mais eux s’en inquiètent et ne manqueront pas de le dire ce lundi, au ministère de la Transition écologique en tant que représentants de collectifs appelant à une méthanisation raisonnée. « Nous ne sommes pas contre la méthanisation mais ses dérives », glissent-ils.

« Mauvaises odeurs et pollution… »

Anne Danjou pointe déjà le ballet des camions chargés de déchets organiques qui viennent alimenter les grosses unités de méthanisation. « Celles qui n’ont pas assez des déchets produits alentour pour fonctionner mais doivent aller les chercher parfois à des centaines de kilomètres de là », précise-t-elle. Une grosse installation de méthanisation (unité industrielle) nécessite le passage de dix camions par jour travaillé, évalue l’ADEME qui pourtant minimise au maximum l’impact de l’entreprise. Article sur : l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).

Autre grief : les odeurs pestilentielles que dégagent les unités de méthanisation mal maîtrisées. « Ma maison s’est retrouvée à 400 mètres d’une fosse de 1.000 m² où a longtemps été stocké le digestat liquide, à l’air libre, d’un gros méthaniseur de la région, illustre Anne Danjou. Cela sentait un mélange d’œuf pourri et d’urinoir chargé à ras bord. » Un désagrément décrit aussi par des riverains de méthaniseurs à Onet-l’Eglise en Aveyron, à Hagtemeau dans les Landes, à Feux dans le Cher…

Ces mauvaises odeurs sont une gêne en soi. « Elles sont aussi le signe que des gaz s’échappent de ces installations, complète Daniel Chateigner. Le principe de la méthanisation est de transformer des déchets organiques en biogaz, composé essentiellement de méthane. Mais le processus génère d’autres gaz, comme le sulfure d’hydrogène (H2S). Il est non seulement toxique mais aussi très corrosif. A force, il peut percer les tubulures d’un méthaniseur et provoquer des fuites de méthane, un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le C02. »

Ne pas jouer sur les peurs ?

Un autre débat concerne la qualité du digestat destiné à être épandu sur les terres agricoles pour favoriser la croissance des plantes cultivées, en remplacement des engrais minéraux. « Ce digestat est à 80 % liquide, reprend Daniel Chateigner. C’est de l’azote ammoniacal(NH4+) qui a l’inconvénient d’être très sensible au ruissellement. Dès qu’il pleut, il s’en va, avec le risque d’appauvrir les sols et de polluer les eaux. » L’épandage de digestat pose particulièrement question dans le Lot, où il est peu adapté aux sols karstiques, typiques de la région.

Nicolas Bernet, directeur du Laboratoire de biotechnologie de l’environnement de l’ Inra (Institut national de la recherche agronomique) dit certaines craintes légitimes. Mais il invite à ne pas jouer sur les peurs. « Bien sûr, si on étend des quantités de digestat bien supérieures aux besoins des sols, la question du ruissellement se posera, commence-t-il. Mais elle se pose de la même façon pour tout engrais organique, en particulier ceux d’origine animale comme le lisier.

Or, ces effluents d’élevage sont le plus souvent aujourd’hui répandus directement sur les terres cultivées après avoir été stockés dans la cour de la ferme. Des gaz à effet de serre s’en échappent et sans aucune valorisation cette fois-ci. »

Nicolas Bernet comme Olivier Dauger ne nient pas non plus qu’un processus de méthanisation mal maîtrisé puisse rejeter du méthane. « Tout comme le compostage s’il est mal fait », indique le premier. « Et l’agriculteur n’a aucun intérêt à voir du méthane s’échapper dans l’atmosphère plutôt que d’être valorisé en énergie, avance le deuxième. Il perd de l’argent, ce qui est vite préjudiciable au regard du prix d’un méthaniseur. » La production de biogaz est par ailleurs encadrée par une réglementation stricte et le nombre d’accidents à ce jour recensé faible, indique de son côté l’Ademe**.

« A tout prix éviter le modèle allemand »

Pas de quoi rassurer Daniel Chateigner ou Anne Danjou, inquiets que l’essor actuel des méthaniseurs entraîne un développement non-maîtrisé de la filière. L’enjeu n’est pas seulement d’éviter les nuisances locales. Il est aussi de s’assurer qu’il y ait suffisamment de déchets organiques pour alimenter ces méthaniseurs.

« Il faut à tout prix à éviter le modèle allemand, insiste Daniel Chateigner. Le pays a fortement développé la méthanisation au point d’avoir 10.000 unités aujourd’hui. Mais ils sont alimentés avec des cultures dédiées. Du maïs essentiellement. » L’effet pervers est le même que pour les biocarburants : l’accaparement des terres agricoles pour la production d’énergie plutôt que l’alimentation. Près de 7 % de la surface agricole allemande était dédiée à la méthanisation en 2014, indiquait Alternatives économiques en décembre 2017.

En France, il y a consensus, assure Olivier Dauger. « Personne ne veut suivre le modèle allemand. Les objectifs visés en France avec la méthanisation – les 10 % de 2030 et 30 % de 2050- ont été fixés au regard du gisement potentiel de déchets organiques en France. » C’est l’Ademe qui a fait ce travail, « mais jamais l’agence ne donne le détail des calculs », déplore Daniel Chateigner, loin d’être convaincu par l’estimation.

Déjà des signes d’accaparement des terres ?

En décembre dernier, la Confédération Paysanne, syndicat agricole qui milite pour une agriculture paysanne, manifestait dans la Sarthe devant ce qu’elle considère comme un premier signe d’un accaparement des terres pour la méthanisation. « Un silo de maïs à ciel ouvert, entassé là dans l’attente de l’arrivée prochaine d’un méthaniseur dans la région, détaille Laurent Leray, porte-parole du syndidcat. Cela représentait l’équivalent de deux années de récolte de maïs sur environ 80 hectares. C’est autant de maïs qui ne seront pas vendus aux éleveurs pour nourrir leurs animaux. Une insulte au monde paysan après les sécheresses de cet été. »

*La méthanisation est une technologie basée sur la dégradation par des micro-organismes de la matière organique, en conditions contrôlées et en l’absence d’oxygène, à l’inverse du compostage, en vue de produire du biogaz, appelé méthane.

** En tant que mélange potentiellement explosif, le biogaz nécessite des précautions mais peu d’accidents relatifs à son stockage sont survenus en France, précise l’Ademe. De 1992 à 2017, 18 cas d’incendie et 15 cas d’explosion ont été recensés en France par le ministère en charge de l’environnement, avec peu de conséquences pour les populations riveraines et pour l’environnement.